une vie-à-l'œuvre
Celles qui disent " là où est la parole là est le lieu ". Et en tel lieu se tiennent. (Voyage de La Grande Naine en Androssie, p.265)




livres

Michèle CAUSSE

29 juillet 1936 à Martel (Lot) - 29 juillet 2010 à Zurich (Suisse)

Michèle Causse passe son enfance dans le Lot, poursuit à Paris des études de lettres et de langues (anglais-italien), où elle obtient un diplôme de traductrice à la Sorbonne. Elle découvre l'oeuvre de Violette Leduc, elle lui écrit, la rencontre et entame avec elle une relation amicale.
Après avoir enseigné pendant quelques mois le français en Tunisie, en 1963 elle rejoint à Rome l’écrivain Alice Ceresa (dont elle traduit La fille prodigue, édité en 1975 par les Editions des Femmes). Les dix années de son séjour à Rome sont consacrées à l’écriture en même temps qu’à l’étude du chinois.

De Rome à Paris où elle revient dans les années 70, elle inscrit dans les luttes féministes sa posture définitive et sans concession : celle d’une lesbienne radicale dont la vie et l’écriture ne font qu’un.e.

unevie1Les voyages sont le tissu de sa vie : Rome, Paris, la Martinique, New York, Montréal. Elle reste huit ans à la Martinique et effectue, pour le Ministère des Droits des Femmes, une enquête sur La stratification ethno-sociale des femmes martiniquaises. Elle continue son œuvre de traductrice, de l’italien (Michelangelo Antonioni, Mauro Bolognini, Dacia Maraini, Enzo Silone, Primo Levi, et, avec Maryvonne Lapouge, Ecrits, voix d’Italie publié aux Editions des Femmes en 1977), de l’anglais (Jane Bowles, Herman Melville, Theodor Zeldin, Willa Cather, Gertrude Stein, Alice Munro). Elle donne une magnifique traduction de L’Almanach des Dames, de Djuna Barnes, aux Editions Flammarion en 1982, réédité en 2014 aux éditions Ypsilon. Lors d’un séjour à New York, en 1981, Djuna Barnes, qui ne reçoit plus personne, lui « octroie la faveur d’un entretien » relaté dans la postface de l’ouvrage : unique rencontre de deux «anomales» qui, «dans l’écriture» se sont «dessaisies de toutes les métaphores sur l’être-femme».
Pour Michèle Causse, inlassable «Pérégrine», aucune terre n’est jamais repos, sinon la communauté sans frontière des « semblables ». Les voyages sont des rencontres avec les figures majeures de la pensée, de l’écriture et de l’action lesbiennes : Barbara Deming (elle séjourne en Floride dans sa communauté non-violente), Mary Daly, Jill Johnston, Kate Millet, Carolyn Gage aux USA, Nicole Brossard, Marie-Claire Blais, Jovette Marchessault à Montréal. Le Québec accueille Michèle Causse, la reconnaît (elle obtiendra en 1992 la nationalité canadienne) : elle est professeure invitée à l’Université Concordia, ses livres y sont édités de 1986 à 1996 aux éditions Trois: ( ), A quelle heure est la levée dans le désert ?, L’Interloquée - Les oubliées de l’oubli - Dé-générée, Voyages de la Grande Naine en Androssie. Elle rentre définitivement en France : à Paris, puis dans le Lot de son enfance, et à Toulouse où elle collabore avec Bagdam Espace Lesbien, oeuvrant en particulier à l’organisation des colloques internationaux d’études lesbiennes.

Depuis la parution de L’Encontre, aux Editions des Femmes en 1975, Michèle Causse construit son œuvre polyphonique : elle alterne fictions, essais théoriques, poésie, pièce de théâtre. Elle collabore à diverses revues (Sorcières, Masques, Lesbia, Le Nouveau Commerce) et fonde en 1983, avec Suzette Robichon, Vlasta : «revue des fictions/utopies amazoniennes», revue non mixte d’une parole lesbienne, source de sa propre langue.
Jusqu’à sa mort choisie en 2010, Michèle Causse explore l’écriture à venir, chaque texte renouvelant le combat avec cette langue inhospitalière aux exilées du dire, dont elle dénonce la monosémie meurtrière.

Son écriture naît de l’affrontement avec le langage, avec cette langue qu’elle nomme «androlecte», et qui est une police du genre, une taxinomie, faisant de la différence sexuelle le sol de tout être-au-monde, langue de la sexcision, du «sexage» (selon le concept de Colette Guillaumin), indice de la domination d’Un seul qui fait universel et s’avance sous le masque du « neutre ». L’invention d’une «autre langue» est un acte politique en même temps qu’une tâche épistémique et éthique. Déranger la langue, c’est dé-genrer les injonctions identitaires, faire feu des signifiants ensevelis sous la chappe de plomb de l’essentialisme et du différentialisme, en appeler à une «subversion cognitive», une «subversion de la vision du monde», une subversion des alliances amoureuses : dans ses fictions (de L’Encontre aux Voyages de la Grande Naine en Androssie), dans ses essais théoriques (L’Interloquée, Les Oubliées de l’oubli, Contre le sexage), ou ses articles («Le monde comme volonté et représentation» inaugurant le premier numéro de la revue Vlasta), dans ( ), «phénoménologie du face à face amoureux», Michèle Causse traverse les catégories obligées du dire pour trouver «l’autre côté de la langue», proposer de nouvelles optiques, faire advenir des corporéités libérées des scalpels anatomiques, en appeler à de nouvelles pronominations de soi dans une langue débarrassée de l’indexation phallique, l’alphalecte. Cette langue en finit avec les binarismes, avec les impostures de l’universel, avec les prescriptions de reconnaissance, avec les partitions du théorique et du poétique, du penser et du sentir, puisque «dès qu’une pensée est en organe, elle crée sa solution en science des images».

    

L’œuvre de Michèle Causse est œuvre d’une contemporaine majeure, en accord – souvent avant la lettre – avec les pensées aujourd’hui en acte : de Monique Wittig à Christine Delphy, de Nicole-Claude Mathieu à Colette Guillaumin, de Judith Butler et Donna Haraway à Joan Scott, dans la polyphonie qui est la sienne. Elle récuse toute récupération identitaire, dans sa rupture assumée dès les commencements avec un féminisme de la différence et un universalisme rampant. Selon ses mots : «Toute notice biographique me semble une imposture (…) Qu’on me lise plutôt. Pour démentir mon épitaphe : ni lue ni approuvée».

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